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Le Blog de Cruella, la gerbille rose maîtresse masochiste qui aime les crevettes
6 novembre 2008

L’affaire Caligula

Lisant en ce moment l'excellent livre (au niveau du contenu, le style me plait largement moins) de Monique Jallet-Huant intitulé Folies, extravagances et cruautés dans l'Empire romain, je ne résiste pas à l'envie de vous donner le travail que Nathalie et moi-même avons fait l'année dernière sur ce cher Empereur Caligula, décrit comme le pire des monstres par cette langue de vipère de Suétone. Il est un Empereur très intéressant je trouve, assez en avance sur son temps (même si son oeuvre est par contre quasi-nulle).

L’affaire Caligula

Caius Julius Caesar Germanicus, plus connu sous le nom de Caligula, fut le troisième Empereur de Rome de 37 à 41. Né le 31 Août 12, sans doute à Antium, il était le troisième fils d’une famille de six enfants et avait pour parents deux grands personnages de l’époque : en effet Germanicus, son père, était le fils adoptif de Tibère et un descendant direct de Marc Antoine. Sa mère, Agrippine, était quant à elle, une descendante directe d’Auguste.

Etant le plus jeune de sa famille, il n’était pas destiné à devenir princeps : pourtant, par le jeu du sort, c’est lui qui se retrouva sur le devant de la scène à la mort de Tibère en mars 37. Adulé par le peuple lors de son entrée triomphale à Rome après plusieurs années passées à Capri, Caligula voulut mener une politique en rupture avec celles des princes précédents : la trace qu’il laissa dans l’histoire fut pourtant celle d’un Empereur fou. Si les auteurs antiques comme Tacite, Suétone ou encore Dion Cassius, ont rarement été tendres avec les Julio-Claudiens, Caligula est particulièrement maltraité sur tous les plans. On peut, à partir de ce constat, se poser quelques questions : d’abord, comment la politique de Caligula marqua t-elle un tournant dans l’exercice du principat ? Ensuite, pourquoi ce Prince en particulier hérita t-il d’une image si terrible qui, encore aujourd’hui, perdure ?

Pour répondre à ces questions, nous verrons dans un premier temps comment Caligula prépara son arrivée au Principat, avant d’aborder dans un seconde partie son œuvre politique... Enfin, nous terminerons sur le conflit qui éclata entre lui et les membres du Sénat et qui déboucha finalement sur son assassinat…

I- Un prince parmi les Princes.

       

a)      L’enfant soldat

Avant d’aborder l’œuvre et la personnalité de Caligula, il convient de s’intéresser de plus près à sa situation familiale, tout à fait exceptionnelle. Caligula descend directement d’Auguste par sa mère, mais en descend également indirectement par son père, adopté par Tibère, qui est, de plus, le descendant direct de Marc Antoine : dans ses veines coulent, donc, le sang des Julii, celui des Antonii et, enfin, celui des Claudii. Autant de familles prestigieuses dont il va directement hériter de la popularité…

Parlons plus particulièrement de Germanicus, son père : général romain, il était considéré par ses contemporains comme étant l’incarnation des vertus romaines et était le candidat qu’Auguste avait désigné pour lui succéder au Principat.  Sa popularité était telle qu’à la mort d’Auguste en 14, des légions de Germanie (qu’il commandait) voulurent lui offrir le principat, alors aux mains de Tibère. Il refusa logiquement (il était prévu qu’il devienne Princeps tôt ou tard) et ce ne fut que le départ de sa famille qui finit par calmer les soldats. Ainsi, à deux ans, Caligula héritait déjà de l’extraordinaire popularité de son père et de l’amour –sinon de la tendresse- de l’armée ! Il hérita également de cet épisode son surnom, venant des bottines offertes pour se faire pardonner (Caligula signifiant « godillot »).

En 18, Germanicus fut envoyé en Orient pour combattre les Parthes et, après avoir instauré la paix en Arménie, mourut subitement en Egypte en Octobre 19. Des rumeurs d’empoisonnement circulèrent, colportées par Agrippine, et longtemps le peuple considéra que Tibère n’était pas étranger à l’affaire : une rupture irréparable s’opéra entre la veuve de Germanicus et l’empereur. Ainsi, quelques années après, Séjan, préfet du Prétoire depuis 19 et qui lorgnait le trône impérial destiné à la famille de Germanicus, persuada facilement Tibère qu’un complot, préparé par Agrippine, le visait : la petite famille fut écartée puis éliminée mais Caligula fut épargné. Ainsi, en voulant éliminer les prétendants au Principat, Séjan avait également fait place nette à Caligula qui pouvait enfin espérer… d’autant que le préfet fut éliminé en 31, au profit d’un autre ambitieux, Macron.

b) L’accession au Principat

                        Dans les dernières années du Principat de Tibère, Macron fit régner la terreur à Rome et se rapprocha petit à petit de Caligula qui avait encore un dernier adversaire à écarter. Tibère avait en effet un petit fils naturel, Gemellus, qui restait un ennemi potentiel. Ainsi, Macron lui était utile, en temps que préfet du prétoire, pour s’assurer de l’appui des prétoriens.

Quand  Tibère mourut le 16 Mars 37, Caligula put prétendre au pouvoir sans problème grâce à la réputation de sa famille : le début de son Principat fut, d’ailleurs, exceptionnel. Jouissant d’une popularité sans égale, on lui dédia des jeux et des sacrifices des mois durant dans tout l’Empire. Il s’assura de l’appui des Sénateurs en brûlant des documents compromettant pour eux et en interdisant les accusations de Lèse-Majesté. Au peuple, il accorda les legs impayés de Tibère (45 millions de sesterces) et de Livie, et donna également de l’argent –en retard- pour sa prise de la toge virile soit 240 sesterces plus 60 d’intérêts… le tout prélevé sur sa cassette personnelle ! Vous l’aurez donc compris : tout le monde avait une raison de se réjouir de l’arrivée de ce nouveau Prince… Caligula avait les appuis de tous et sécurisait sa position. Il adopta même Gemellus, pour qu’il tombe sous son autorité paternelle.

       

c)      Du « Prince » au « Monstre »

« Jusqu’ici, nous avons parlé d’un prince. Désormais, nous parlerons d’un monstre... ». C’est par cette phrase que Suétone, dans la Vie des douze César, annonce le changement radical d’attitude de Caligula, environ huit mois après la prise de ses fonctions. On ne sait pas vraiment à quoi est dû ce revirement de situation, car les explications données sont nombreuses : Suétone privilégie la thèse de la maladie. Néanmoins, il émet également l’idée que sa « folie » nouvelle pourrait être due à un poison…

Cependant, les historiens modernes privilégient tous la thèse de la maladie : certains parlent de Schizoïdie (forme incomplète de schizophrénie), d’autre de psychopathie (pas de conscience du bien et du mal). L’explication est peut être plus simple : Caligula avait maintenant une position solide et s’était peut être rendu compte qu’il était temps d’engager une véritable politique. Quoiqu’il en soit, il changea dramatiquement d’attitude à cette période, et ne se départit plus jamais de cet humour noir et de ces manières qui conduisirent les auteurs antiques à le considérer comme « fou », en argumentant leurs textes d’exemples plus incroyables les uns que les autres. Mais il serait trop simple de s’arrêter à ces anecdotes souvent exagérées : plus que ses excès, c’est sa politique qui dérangea, et nous allons à présent voir en quoi…

II- La politique controversée de Caligula

a) La mise au pas du sénat

Caligula commença donc à modifier ses rapports avec le sénat suite à sa maladie : la question de sa succession s’est posée plus tôt que prévue et n’ayant par d’héritier direct, il se méfia vite du sénat qui pouvait lui retirer son soutien au profit d’un autre : Gemellus fut ainsi forcé au suicide. Caligula, de plus, ne pardonnait pas le meurtre des siens.

Ainsi, il prit des mesures pour limiter la puissance des sénateurs. En 38, il restitua aux comices le choix des magistrats qui leur avait été ôté progressivement par César, Auguste et Tibère. La réforme rétablissait un mécanisme républicain qui fut mal perçue par les sénateurs, obligés de faire des campagnes couteuses pour obtenir les magistratures : cependant, elle avorta vite, car les comices étaient obligées d’élire un des candidats choisis par le prince…

Caligula marqua aussi nettement sa préférence pour l’ordre équestre qui retrouva une place prépondérante dans les comices centuriates (élisant consuls et prêteurs, deux magistratures supérieures). Il augmenta également le nombre de chevaliers romains en donnant la citoyenneté à quelques provinciaux possédant au moins 400 000 HS, soit le cens nécessaire pour entrer dans l’ordre équestre. En effet, d’après les estimations, les chevaliers n’étaient que 5 000 à Rome mais, par contre, ils étaient 20 000 dans le reste de l’empire…

Il modifia ensuite les conditions d’intégration à l’ordre sénatorial. Il y avait jusque là deux manières d’y entrer : la première était la naissance. Le fils d’un membre de cet ordre naissait avec la dignité sénatoriale et pouvait porter le laticlave dès ses 17 ans. Puis, il n’avait plus qu’à suivre un cursus honorum ordinaire, jusqu’à la questure, pour devenir sénateur. La seconde –qui concernait les chevaliers- consistait à obtenir l’encouragement du prince pour ensuite revêtir les magistratures jusqu’à la questure qui autorisait ensuite à entrer dans l’ordre et à siéger au Sénat. C’est cette seconde condition que Caligula modifia légèrement : les chevaliers pouvaient porter le laticlave sans avoir été magistrat. Ces derniers pouvaient ainsi entrer dans l’ordre sénatorial, sans pour autant faire partie de l’assemblée sénatoriale.

Ce changement profita largement à l’ordre équestre dont Caligula se fit un allié contre le sénat qu’il méprisait.  Il humilia les sénateurs de diverses façons, par exemple en leur tendant son pied à baiser ou en les faisant courir à côté de sa voiture. Suétone s’attarde notamment sur l’épisode du cheval Incitatus. L’animal était célèbre pour son écurie de marbre, son harnachement de luxe mais aussi les invitations que Caligula lançait en son nom et les hôtes reçus dans l’écurie. Il promettait même, d’après les rumeurs, de le faire nommer consul. Marque de folie ? Plutôt une plaisanterie de Caligula pour que les consuls comprennent que, pour lui, le travail qu’ils fournissaient était tel qu’un cheval pouvait bien en faire de même.

Cette attitude heurtait durement l’aristocratie gardienne des valeurs traditionnelles. A la différence de ses prédécesseurs, Caligula se montrait très clairement comme le prince du peuple et ne prenait aucun gant avec ces Sénateurs qui s’accrochaient désespérément aux lambeaux de leur grandeur républicaine passée.

        b)      Une grande popularité au sein des plébéiens

Dès son avènement Caligula a cherché à s’attirer les faveurs de la foule par différentes mesures. Ainsi, en 38, il supprimait la taxe du centième sur les ventes aux enchères et organisa également beaucoup de jeux : il était d’ailleurs supporter des écuries du peuple (les vertes) au lieu de celles de l’aristocratie (les bleues) lors des courses de chars. Mais il pouvait reprocher vertement au public son manque de discernement quand celui-ci n’était pas d’accord avec lui. Il se vexait facilement : ainsi par exemple, alors que des spectateurs ovationnaient un gladiateur de char qui avait affranchi son esclave après sa victoire, il leur reprocha d’accorder plus d’honneurs à cet homme qu’à lui et quitta si vite l’amphithéâtre qu’il se prit les pieds dans sa toge et tomba.

Caligula se produisait également dans des spectacles privés et faisait en sorte que l’on sache qu’il pratiquait les disciplines les plus appréciées. Mais le manque d’argent dans les caisses de Rome provoqua la création de nouveaux impôts dans le courant de l’année 40 ainsi, qu’entre autres des taxes sur le prix de vente des comestibles ou encore sur les passes des prostitués. Ces mesures furent mal perçues, surtout avec l’absence de publication des lois créatrices de ces taxes dans un premier temps puis ensuite en raison de leur affichage en petits caractères dans des lieux difficiles d’accès. Ces taxes frappaient durement les plus pauvres et le peuple de Rome considérait normal d’être nourris et amusés aux frais des provinces et donc de ne pas payer d’impôts. La plèbe manifesta son mécontentement à l’occasion de jeux du cirque et il fallut envoyer la troupe. Cette pression fiscale était néanmoins compensée par de nombreux jeux et les distributions d’argent : ainsi Caligula conserva l’appui du peuple malgré tout.

c) Les tentatives de conquêtes
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En 40, Caligula envisagea la conquête de la Bretagne : il fallait pour cela mobiliser les légions rhénanes, puis dissuader les germains de venir jusqu’en Gaule une fois les légions parties. Il eut d’abord à reprendre en main l’armée du Rhin qui avait vu sa discipline relâchée. Il cassa un certain nombre de centurions primipiles (les plus importants) jugés trop faibles et réduisit la prime de retraite d’autres. Il confia enfin le commandement des quatre légions à Galba un homme très rigoureux qui fit reprendre un entrainement sérieux à la troupe. Des raids romains, qui avaient certainement pour but de préparer l’armée au combat pour l’expédition en Bretagne, furent enfin entrepris de l’autre côté du Rhin.

Nous ne reviendrons pas sur les raisons ayant poussé Caligula à s’attaquer à la Bretagne, ni au détail de l’installation du camp de Boulogne, déjà abordés lors du précédent exposé. L’expédition fut, vous le savez, un fiasco, et les données historiographiques ne sont pas suffisantes pour pouvoir expliquer totalement cet échec. Néanmoins, on peut penser que la flotte était insuffisante car les chantiers navals ne purent livrer l’intégralité de la commande à temps. On sait également que deux légions nouvellement créées, les XVème et XXIIème Primigeniae, étaient sans doute mal préparées. Enfin, les caisses étaient vides, et Caligula dût mettre aux enchères certains de ses biens (et beaucoup d’autres appartenant à ses ennemis politiques) pour tenter de les renflouer… sans grand succès.

Suétone nous donne une autre explication : Caligula aurait fait déplacer son armée sans dire ce qu’il comptait faire. Il l’aurait ensuite déployé sur une plage face à la Bretagne pour ordonner qu’on ramasse des coquillages, tout en disant : « ceux sont là les dépouilles de l’océan que nous devons au Capitole et au Palatin ». Si Suétone prétend donc que l’expédition n’était qu’une farce, on peut cependant supposer qu’en réalité les soldats ont refusé de s’embarquer par peur de ce qui les attendait en cette terre inconnue. Cet épisode des coquillages tiendrait alors plus de la raillerie que de la folie du prince : le but manifeste était de piquer l’amour propre des soldats pour les convaincre d’embarquer.

Ce refus de l’armée était un acte de désobéissance et Caligula songea à la décimation (une peine qui consistait à exécuter un homme sur dix pris au hasard) mais l’Etat Major le dissuada car il y avait un risque que les troupes se révoltent. A la place le prince donna cent deniers aux soldats avec cette phrase « partez, partez joyeux et riches ! ». Encore une raillerie à l’adresse de ces soldats qu’il gratifiait d’un donativum (récompense exceptionnelle à une troupe). Les auteurs antiques n’ont pas manqué de présenter cet épisode comme une grosse farce guerrière où Caligula tient le rôle principal du fanfaron. Le but réel était bien sûr de se moquer, une fois de plus, des soldats.

Ajoutons enfin que, selon Suétone toujours, Le Sénat envoya une délégation en Gaule pour demander le retour de Caligula. Il aurait répondu menaçant, « j’arriverai, oui, j’arriverai et celui-ci avec moi » en montrant son glaive. L’auteur présente l’épisode comme une menace adressée directement au sénat, alors qu’il ne s’agissait probablement que d’une provocation supplémentaire. Mais le Sénat se méfiait depuis déjà bien longtemps, et les tensions déjà grandes conduisirent inévitablement à un conflit, où était nécessaire l’élimination d’une des deux parties.

III- Le dénouement d’un conflit inévitable

       

a)      La vision du Prince selon Caligula

Au stade ou nous en sommes, il convient d’aborder la vision qu’avait Caligula du Principat. Souvenez vous qu’à Rome,  une frontière très solide était établie pour séparer l’homme des Dieux : cependant, à l’inverse, la conception de « Roi/Dieu » était admise depuis des millénaires en Orient, notamment en Egypte. Auguste et Tibère durent légiférer le culte impérial,  exécuté dans les provinces Asiatiques et Africaines, tant il semblait inconcevable pour les romains. A titre d’exemple, si on instaurait -c'était le cas dans certaines provinces-un culte pour le prince comme s’il était un Dieu  (et encore fallait-il l’associer à une «vraie» déesse, Roma), on ne priait en réalité que son « Genius » (son « étincelle » divine) à Rome. Mais Caligula, lui, était bien plus attiré par cette conception orientale du pouvoir que par la vieille conception  romaine : ainsi désira t-il quitter le simple statut de Prince (qui était officiellement une sorte de magistrat) pour revêtir celui de monarque à l’orientale, d’essence divine. Sans doute avait-il été influencé par son aïeul Antoine, ou même par son père Germanicus qui aimait beaucoup l’Egypte…

Le désir de Caligula était d’être reconnu comme une divinité : il se déguisait parfois en Jupiter, en Vénus… il voulait diffuser la notion de « princeps Dieu » par le biais de ces costumes. Mais pour servir ses intérêts, encore fallait il avoir le peuple derrière soi : quoi de mieux, pour plaire au peuple, que de s’identifier à lui ? Sans retenu, Caligula s’entoura de vedettes de l’époque, supporta l’écurie du peuple (verte) au lieu de celle de l’aristocratie (bleue) lors des courses de chevaux, sortit dans les rues, accompagné d’acteurs reconnus … du « Marketing politique avant l’heure » comme le dit Pierre Renucci. Sur ce point, il calquait très clairement son attitude sur celle des démagogues grecs : pour imposer sa conception, il fallait qu’il satisfasse le plus grand nombre.

Il ne pouvait que rencontrer des oppositions de la part des Sénateurs, gardiens des vieilles valeurs romaines, ces valeurs qui rejetaient clairement l’idée même de royauté et qui mettaient également cette frontière vitale entre hommes et dieux. Si le peuple pouvait accepter d’être gouverner par un roi du moment qu’il le satisfaisait, les Sénateurs, eux, y auraient tout perdu : ils comprirent vite qu’ils risquaient de disparaître s’ils n’agissaient pas vite…

      

b)      Une opposition silencieuse mais vivace

Dion Cassius nous donne la teneur d’un sénatus-consulte tenu durant l’été 39, qui semble être à l’origine du réveil d’une opposition active : Caligula, prenant la parole, fit un discours incendiaire et déclara très clairement que le Sénat avait perdu sa confiance. Pire, il sortit les copies des documents compromettant brûlés lors de son avènements et les fit lire à voix haute : faisant parler Tibère, il annonça que sa seule sécurité justifiait qu’il agisse à son bon plaisir puis, au terme de la séance, il fit rétablir la loi de Majesté, cette loi qui fut fatale à bien des sénateurs sous Séjan. La rupture entre le Prince et le Sénat était définitive.

Des complots ne tardèrent pas à germer : excepté Dion Cassius, les anciens, les évoquent à peine aussi est-il difficile d’avoir une chronologique précise des événements. Caligula eut vent du premier en Octobre 39, on ne sait comment : les instigateurs étaient Lepidus, mari de la défunte Drusilla, sœur chérie de l’Empereur, et Gaetulicus, commandant de l’armée de Germanie supérieure et ancien Séjantiste. Les deux hommes furent assassinés en Gaule et les deux sœurs de Caligula furent exilées, soupçonnées d’avoir trempé dans le complot. Cette entreprise était indépendante : la femme de Caligula étant enceinte en 39, Lepidus voyait ses chances d’accéder au Principat s’envoler… d’où son envie d’accélérer les choses. D’autres complots eurent sans doute lieu, mais l’historiographie n’en parle guère…

 c)      La Conjuration de 41

La conjuration qui eut raison de Caligula se déroula le 24 Janvier 41 : elle rassemblait plusieurs groupes donc le plus important avait à sa tête le tribun militaire Chaerea (à qui Caligula reprochait ses mœurs efféminés d’après Suétone). Il semble que quelques sénateurs eurent un rôle à jouer dans cette tentative d’assassinat, mais les noms furent tenus secrets (excepté celui d’Asprenas) : quoiqu’il en soit, un bon nombre de personnes était impliqué même s’il ne faut pas croire que le Sénat tout entier s’était ligué contre le Prince. L’entreprise était dangereuse et la plèbe favorable à Caligula tout comme la majorité des prétoriens : seulement 6 d’entre eux (les deux préfets et quatre chefs de cohorte) étaient présents. Cette conjuration n’avait donc pas été organisée comme le fut, par exemple, celle qui eut raison de Jules César. Loin de là.

Huit auteurs rapportent l’assassinat, mais c’est Suétone qui livre la version la plus précise et réaliste : le 24 Janvier était le dernier jour des festivités dédiées à Auguste, et Caligula était au théâtre depuis la matinée. Il était prévu de l’égorger dès sa sortie, au midi, mais l’Empereur –victime d’indigestion- refusa d’abord de quitter sa place : le sénateur Asprenas parvint cependant à le convaincre au prix de nombreux efforts. L’Empereur rentra donc au palais, et rencontra les assassins dans les couloirs déserts : Chaerea porta le premier coup, à la gorge, puis tous s’acharnèrent sur l’Empereur qui, prostré sur le sol, reçut une trentaine de coups. Une fois la chose faite, les hommes s’occupèrent de Caesonia, sa femme, puis de Julia Drusilla sa fille de un an qu’ils fracassèrent contre un mur.

Le peuple ne crut d’abord pas à la mort de l’Empereur : dans le théâtre, les choses faillirent mal tourner. Quand le crieur public annonça la mort de Caligula, la foule se précipita au forum pour exiger qu’on châtie les assassins, et le Sénat –effrayé- quitta la curie pour le Capitole, mieux protégé… chez les petites gens, la popularité de l’empereur était restée forte jusqu’à la fin. Enfin, les obsèques furent expédiées par les conjurés et une dernière anecdote vint salir l’image de l’Empereur : en effet des fantômes se seraient manifestés à l’endroit même de sa mort…

En conclusion, vous l’aurez compris, les auteurs antiques ont considérablement ternis le portrait de Caligula. Mais n’oublions pas que ces auteurs étaient des élites, écrivant eux-mêmes pour des élites : l’opinion des classes supérieures était la seule qui comptait à l’époque, c’est pourquoi aucun texte ne fait état la popularité qu’avait Caligula au sein de la plèbe. Suétone et Tacite, par exemple, qui vécurent tous deux à cheval sur les Ier et IIème siècles, étaient franchement favorables à l’ordre sénatorial. Sénèque, contemporain de Caligula, était quant à lui un ennemi personnel. Ce Prince eut le tord de n’avoir pas voulu conserver cette « illusion » républicaine que ses prédécesseurs avaient su entretenir : après s’être concilié l’appui de tous pour asseoir son pouvoir, il dévoila clairement son aspiration à dépasser le stade de simple prince pour devenir un véritable monarque, et ce au dépend de l’ordre sénatorial qui ne pouvait accepter de voir son rôle réduit à celui de simple serviteur. Si Caligula fut dépeint par les auteurs antiques comme un fou, c’est parce qu’il fallait prouver qu’en gouvernant seul, on ne pouvait devenir qu’un tyran monstrueux, par opposition aux Empereurs « vertueux » conservant un certain respect pour le Sénat.. Le but des anciens n’était pas de calomnier Caligula gratuitement. Il devait nécessairement passer pour le pire des fous afin que tous puissent penser que gouverner seul était un acte « contre-nature ».. D’autres, comme Néron, eurent le droit à un traitement similaire… et encore aujourd’hui, les œuvres littéraires ou cinématographiques ne conservent que cette image de fou furieux, entretenant ainsi le mythe …

 

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Commentaires
J
J'ai beaucoup aimé cette analyse de Caligula. Le film Caligula existe dans une très rare version intégrale, on peut voir des extraits en cliquant ci-dessous<br /> http://www.laboutiquedezaza.fr/product_info.php?products_id=2106<br /> A mon avis, Caligula est un film à voir<br /> Jean Sébastien
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